La veillée

L'obscurité, l'humidité, la mort, voilà qu'elles étaient les partenaires de Kazil. Il était trop épuisé pour bouger, il était assis, le regard vide. Harry était à ses cotés, il l'avait trainé durant une longue journée de marche. Alors que la solitude commençait à le peser, il éternua et quelques secondes après, s'essuya sur sa marche. New Vegas n'était pas loin, il le savait mais il était à bout de forces. En attendant, il s'était adossé à une des parois du souterrain, caché derrière un rocher qui avait du s'effondrer.

C'est alors qu'il entendit un bruit de pas, l'asiatique se hissa à l'aide du rocher puis observa l'arrivant. Il savait qu'il n'avait pas beaucoup de souci à se faire vu que les pas semblaient venir de New Vegas et non pas du chemin qu'il avait emprunté. C'est alors qu'il aperçut la silhouette d'Emi Louise.

Il toussota puis se redressa fébrilement pour que sa voix puisse porter.

- « Je suis..là »

Emi Louise n'est pas une grande bavarde. Et face à la fatalité, elle ne trouve jamais rien à commenter.
Harry Stinson est mort. Soit. Que faire d'autre ? Où qu'il puisse être maintenant, elle ne peut rien faire pour lui.
A part s'occuper des vivants.

Elle approche vers cette voix qu'elle reconnaît, évitant les obstacles au sol. Une fois à la hauteur des deux corps, l'un inerte, l'autre sans force, elle se courbe et, après quelques tâtonnements, saisit le visage de l'asiatique délicatement entre ses mains.

"Il a tenu sa promesse. Harry est revenu et il ne t'a pas abandonné, dit-elle tout bas.Même si c'est grâce à toi..."

Caressant les cheveux collés de sueur de l'asiatique, elle attire sa tête contre son ventre, le serrant contre elle. Le rassurer, le laisser se reposer. Aussi aveugle qu'elle soit, elle veille sur eux.

"Tu as presque réussi. Je suis sûre que Cléo aurait aimé ce que tu as fait pour lui et pour nous."

Kazil écouta les paroles de l'aveugle, il haletait légèrement. Sa fatigue était palpable, son coeur battait encore la chamade. Quelques larmes parlèrent sur ces joues, revoir Emi Louise le ramenait aussi à cette réalité. De leur relation, Harry Stinson et Cléo s'en voyaient disparaître à tout jamais.

Il se laissa aller à l'attention que lui apporta Emi Louise. En temps normal, il aurait été gêné mais cette acte lui rappelait le réconfort d'avoir une personne envers qui être en paix. La mort, le sang, la violence, la peur, en même temps que sa respiration se calmait, ce stresse accumulé s'évacuait lentement.

- « Je suis désolé..je n'ai rien pu faire pour lui et pour elle. »

Il sanglotait légèrement.

- « Ils sont.. s'il te plaît ne m'abandonne pas toi aussi.. »

Cette parole égoïste traduisait cet émoi qui s'était crée à la peur de mourir et de finir seul. La peur d'une lente agonie en sachant que la mort s'approche de plus en plus que le temps passe. Telle notre vision de la vie sans cette éternelle insouciance.

Les cheveux sombres de l'aveugle forment autour de l'asiatique comme voile pudique couvrant ce moment de vulnérabilité. Le courageux a besoin parfois de réconfort et d'appui.

"Je ne risque pas de te lâcher Kazil..."

Les paroles de Kazil enfoncent Emi dans ses souvenirs. Ne pas l'abandonner... C'est ce qu'elle avait demandé à Harry lors de leur pénible dispute qui précéda son départ. Elle resserre ses mâchoires et cherche la force de ne pas se laisser aller à la colère.

"Montre-moi Harry, s'il te plait."

Kazil acquiesça de la tête, sa respiration se voulait plus calme qu'auparavant. Ce n'était sans doute pas à l'aveugle à supporter ces pleures mais sa présence le réconfortait. Il comprit à sa question qu'elle avait besoin de sentir le froid de la mort pour comprendre cette disparition. Le voyant observe et conclue, l'aveugle lui doit toucher.

Il attrapa la main d'Emi Louise tremblant légèrement puis il la guida jusqu'à la joue de Harry qui se trouvait sur le coté. Un repère qu'elle devait sans doute connaître.

- « Il est là..avec nous. Il a été abattu avec une arme à feu.. »

Elle s'agenouille pour atteindre la joue glacée de Harry, gardant son autre main derrière la nuque de Kazil. Maintenir le contact avec cet homme à bout, pour ne pas se mettre à insulter inutilement ce cadavre.

Elle parcourt de ses doigts ce visage figé. La dernière fois, il était encore brulant. Pourquoi n'était-il pas revenu plus vite... Pourquoi avoir fait de ses hôtes des ennemis...
Quel gâchis. Elle fait son possible pour dissimuler ses doutes, pourtant elle ne peut retenir cette question.

"Est-il... Est-il possible qu'il ait cherché cette mort...?

Les mots d'Emi Louise étaient dures. Elles se rappelaient que le dernier soir avant le départ pour Corelgrad, lorsqu'elle les avait rejoint, au début il y avait une légère tension qui s'était dissipé. L'asiatique avait compris par leurs quelques échanges qu'elle portait sur cette expédition.

- « Il voulait rentrer..je l'ai vu son visage..Emi.. il avait peur, il paniquait. S'il y a une chose dont je suis sur..c'est qu'il ne voulait pas ça. Ils l'ont tué.. »

Sa main se crispe sur la mâchoire du mort, un instant, un court instant, elle se met à haïr la mémoire de Harry. Haïr cette suite d'évènements qui l'a conduit à sa perte. Haïr cette vieille amie répondant au doux nom de Solitude.

Puis, la chaleur de la nuque de Kazil lui rappelle que ce n'est plus le moment.
Alors elle se tourne vers le jeune homme tremblant et malade à cause des champignons, et vient s'asseoir près de lui.

"Allonge-toi contre moi et dors un peu. Il ne peut plus rien lui arriver maintenant. Un autre ACTiviste va arriver pour nous aider."

Elle sort une couverture de son sac et la présente à Kazil pour son usage.

Comment refuser cette luxe alors que Dame Morphée a mené un long combat avec lui et s'est retrouvé pour le moment toujours perdante. Mais sur la guerre d'usure sans aucun doute qu'elle l'aurait vaincu. Sentant la couverture, Kazil l'attrape puis s'entoure de cette protection contre le froid en négligeant certaines parties de son corps. Il pose son dos contre le sol et laisse à Emi Louise le soin de protéger sa tête.

Il ferme lentement les yeux jusqu'à ce que tout tourne de nouveau, il se crispe de nouveau et tremblote les yeux ouvert. Une bien triste douleur qui accompagne ces bien tristes nouvelles. Il essaie de se calmer..

- « Ils veulent me tuer aussi.. je suis parti.. Ce moine, ses offices, ses adeptes..c'est.. »

Il secoua la tête puis s'effondra de fatigue.

Parfois, quelques grésillements se font entendre comme une tentative maladroite de communiquer à travers la radio d'Emi Louise, si bien sûr elle est allumée. Comme souvent, de plus en plus souvent, notamment le soir. La voix est extrêmement hachée, sans doute féminine, mais incompréhensible. Seraient-ce les tunnels qui empêchent toute communication convenable ?

Krssssh... uise ... ? Krssssh... endez ?

Une série de jurons qu'il vaut mieux ne pas détailler entrecoupés de grésillements, voire de tentatives de réglages d'ondes mal fichus ou que sait-on encore...

Krssh... 'Mi luise... réfléchir... Krshh... voulu... krsssh... Harry... Krsss... ières... volontés ?

Ah. Un léger moment de flottement, des boutons qu'on tourne et quelques ronchonnements avant que les grésillements s'estompent de plus en plus et qu'un soupir de soulagement se fasse entendre.

Oui. Je sors du laboratoire, ça facilite pas les communications. Emi... Il aurait voulu sans aucun doute reposer en paix auprès de Galicia, auprès de celle qui l'aimait. Faites une cérémonie, brûlez son corps et ramenez l'urne avec ses cendres ici. Nous les enterrerons avec le corps de Galicia.

Le ton n'est ni une supplique, ni une demande réellement formulée. Plutôt une certitude à la limite de l'ordre.

Est-ce que... Est-ce que Boris est dans les parages ? Il pourrait vous aider. Pour tout. Je vais essayer de le contacter.

La voix est étrangement noué, comme si elle peinait à articuler et se retenait de laisser court à ses larmes.

Il doit vraiment reposer auprès de Galicia. Vraiment, Emi.

Un certain temps passa durant lequel Kazil dormait à poing fermé, la fatigue ayant eu raison de lui. Plus tard, lorsque Emi Louise fut en conversation avec une autre personne, l'asiatique se réveilla en sursaut avec quelques sueurs froides. Lorsqu'il redressa les yeux vers l'aveugle, il soupira presque de soulagement.

- « Je..me sens..de continuer..rentrons..si tu veux bien.. »

Il frissonnait malgré la couverture.

Emi passe sa main douce sur le visage livide de l'asiatique. Sa façon de fixer face à elle pourrait faire croire qu'elle le regarde comme si il était un fantôme.
Assez calmement d'abord, elle prend le temps de répondre toujours aussi bas à Ana.

"Nos avis diffèrent sur le sujet. Ana. J'en suis navrée. Je vous laisserai plaider cette issue auprès de Saül, mais je ne vous appuierai pas. Harry n'existe plus que dans nos souvenirs Ana. Aucun esprit, aucune âme, aucun fantôme."

Les syllabes sont prononcées plus durement.

"A part pour soulager votre propre conscience, cela risquerait surtout de faire tuer encore d'autres personnes pour réunir les restes de deux foutus cadavres. Des putains de maccabés pour qui la conception même d'amour est devenue hors propos."

Une inspiration profonde. Réconfortante.

"Alors ne pleurez pas, Ana. Souciez-vous plutot de la douleur de ceux qui vivent. Et comme je vous l'ai déjà dit, j'en parlerai aux autres dès qu'ils seront tous en sécurité... Nous allons rentrer. Je vous recontacte Ana."

Elle éteint l'émetteur, le temps de parler à Kazil.

"Oui, allons-y."

Kazil se redresse lentement, la tête lui tourna puis il secoua la tête. Ce retour à la réalité était difficile, il observa un moment l'aveugle puis il soupira longuement pour calmer sa respiration. Cela lui donna une légère toux.

Il se baissa pour récupérer le cadavre de Harry et repensa aux dernières paroles d'Emi Louise. Si Harry Stinson n'était plus que maintenant qu'un putain de cadavre, pourquoi être venu le protéger avec lui, pourquoi ces mots doux sur ses efforts alors que cela était vain. Ce n'était pas le moment de parler de tout ça. Il hissa Harry sur son dos et soupira de douleur. Il lui semblait avoir aussi mal que avant de s'être reposé mais il fallait rentrer.

- « Je..te suis Emi.. »

Les mots d'Emi-louise à l'inverse de la réconforter, rendent mais furieuse son interlocutrice.

SOMBRE IDIOTE ! SOMBRE IDIOTE ! SOMBRE IDIOTE !

On censurera tout un tas de jurons et le pourquoi du comment. Quand bien même personne ne l'entend, elle hurle et une quelconque babiole n'ayant sans doute rien demandé est jetée avec violence en travers de la pièce jusqu'à faire chuter un tas de flacons avec fracas.

Tu ne comprends vraiment rien à rien... Eh bien ne m'appuies pas... Et puis merde.

Grésillement et changement de fréquence.

Insensibilisée aux insultes depuis longtemps, elle laisse Ana s'énerver contre elle. Elle comprend mais ne peut lui donner raison. L'aveugle n'a pas toujours un avis confortablement ajusté à celui des autres.

"Tu iras te reposer chez moi Kazil car une fois à New Vegas, je m'occuperai de Harry. Tu n'auras plus à te soucier de tout çà. Je recontacterai Ana plus tard. Ne t'inquiète pas pour elle."